❝I. STORYBOARD

 
Nikolaï se trouve sur la terrasse d’un café moldu, à Londres. Ses longues jambes sont croisées sous la table ronde qu’il occupe, une tasse dans sa soucoupe laisse échapper un fumet chaud et amer. Ses yeux naviguent sur les lignes d’un article de journal. Il ne lit pas vraiment. Si ses pupilles simulent l’aller et retour de la lecture, il observe les alentours. Il n’a que faire d’un train qui a déraillé à l’autre bout de la planète. Le soleil brille et tire des reflets auburn à ses cheveux sombres. Il ne parvient pourtant pas à illuminer ses yeux aussi noirs que des abysses. Ce regard implacable se darde sur la serveuse qui s’approche de sa table. Aussitôt, ces iris morts se teintent du sourire qui effleure ses lèvres minces. Il plie le journal, croise ses doigts dessus alors qu’il déplie les jambes, se penche légèrement en avant. Le sourire qu’il affiche est des plus polis, des plus aimables et joviaux. Son esprit, lui, carbure à des kilomètres de là. — Tout est à votre convenance ? — Sa langue passe imperceptiblement sur ses dents d’une blancheur immaculée. — Tout est parfait. — Pour une fois, il ne dissimule nullement son accent russe à couper au couteau. Londres est toujours envahie de touristes, il est presque plus naturel d’être venu d’ailleurs que d’être natif de la capitale anglaise. Son regard dérive sur les passants. Il s’accroche à un particulier. Un homme d’affaires. Attaché-case, costume trois pièces, chaussures bien cirées, pas rapide, déterminé, pressé. Toujours si pressés… Son sourire se teinte d’une autre fragrance mais la serveuse est bien trop stupide pour le remarquer. Bien trop absorbée par cette beauté ténébreuse qui hante sa terrasse. Elle le regarde, ne fait pas attention au reste. Elle rêvasse. Pense sûrement à ce que ce serait de le présenter à ses amies. De se promener dans la rue avec lui à son bras. De se retrouver dans ses bras à lui pour la nuit. Lui ne pense à rien de tout cela. Elle n’est qu’une chose futile dans le vaste monde. Inintéressante. Pourtant, rien ne l’exprime sur son visage. Sans quitter les prunelles fades de la serveuse, il enroule ses doigts autour de l’anse de la tasse pour la mener à ses lèvres. Une gorgée dévale dans sa gorge. Douce chaleur. Amère chaleur. Un nouveau sourire fleurit sur son visage. Rictus hypocrite. — Parfait. — L’ingénue semble satisfaite et lui rend un sourire mille fois plus large que celui qu’il daigne lui offrir. Tenant son plateau serré contre elle, elle s’éloigne à reculons, manquant de renverser une de ses collègues. Un rire désabusé franchit à peine les lèvres du sorcier. Pathétique.

Il se lève, dépose quelques pièces d’argent moldu sur la table et glisse les mains dans les poches de son pantalon de costume, ce qui a pour effet de remonter la veste sur ses poignets mais il s’en fiche. Tout comme de la chaleur qui heurte son corps vêtu de noir sous le Soleil printanier qui semble vouloir jouer à l’été. Il lève son visage vers l’astre solaire comme s’il profitait du bon temps. La comédie est si facile à jouer pour lui. L’hypocrisie inonde son être comme le sang qui nourrit ses cellules. Un sourire mystérieux et mauvais effleure son visage. Il s’élance dans les rues bondées de Londres. Il marche, droit, fier, presque arrogant. Il n’est pas arrogant pourtant. S’il se croit chargé d’une mission suprême, il n’en est pas pour autant arrogant. Sûr de lui certainement. Ses pupilles voyagent sur les visages qu’il croise. Il cherche un indice de ce Mal qu’il traque. Juste une idée. Il ne tue pas les Moldus, aussi étrange que ça puisse paraître. Il penche la tête sur le côté, semblable à un oiseau de proie. Il cligne des yeux, avance toujours, comme dans un rêve. Il chasse, pourchasse. Il n’a seulement pas encore décidé de sa proie. Pas trouvé. Pas encore. Difficile de trouver un sorcier dans le Londres moldu… pas tant que ça, au final. Ils luisent comme des lampions pour le Russe. Il sait, il sent, il connaît. Il a étudié les moldus, étudié leurs habitudes, leur façon de bouger. Il sait reconnaître un sorcier dans une foule de Moldus. Il sait. Là. Un sourire mauvais déforme son visage. Une femme fait un écart en passant à côté de lui sans vraiment savoir pourquoi. Il se met en route, accélère le pas. Il a besoin de satisfaire sa pulsion meurtrière. Cet homme, ce sorcier, a-t-il vraiment commis un acte irréparable ? Il n’en a pas vraiment cure. Tout homme sur cette Terre a commis un crime un jour ou l’autre. Il arrive derrière le sorcier qu’il a pris en chasse. En vérité, il l’avait déjà repéré alors qu’il était assis au café. Il avait attendu qu’il passe à nouveau dans la rue. Sorciers comme Moldus, tous étaient prévisibles. Celui-là était pressé, comme tous les autres. Ils se ressemblaient tous. Les sorciers avaient beau se targuer d’être meilleurs que les Moldus, ils n’en restaient pas moins des humains. Il approche, tel un félin guettant sa proie. Il se fond dans la masse, invisible. Il tend le bras. Il est si près, à portée de main. Ses doigts effleurent l’épaule du sorcier.

La foule s’efface. Nikolaï et le sorcier ne sont plus qu’une brume noirâtre. Ils réapparaissent plus loin. Tellement plus loin. Une plaine nimbée de brouillard. On ne voit pas à deux mètres devant soi. Le sorcier tressaille et tombe au sol, secoué par le transplanage. Nikolaï reste droit, imperturbable. Il attend que l’autre se retourne, lève les yeux vers lui. — Que… ? — Il finit par se lever, faire face à cet ange salvateur. Il se tend, tressaille à nouveau, porte la main à sa baguette mais Kolya est bien plus rapide. Tellement plus rapide qu’un stupide bureaucrate du Ministère. Un éclair fuse, argenté, à peine visible dans le brouillard. Le sorcier retombe. Son poignet est fiché dans le sol. La dague à lame longue le cloue au sol. Nikolaï se repait du hurlement qui s’échappe des lèvres du sorcier. Il tire sur les pattes de son pantalon, se met accroupi pour regarder sa victime dans les yeux. Il savoure l’incompréhension, la peur, la terreur alors que seule la folie envahit ses prunelles sombres. — Que v… — Chuuuu. — Il pose son doigt fin sur les lèvres pâles du sorcier. Ce dernier tremble comme une feuille. — Je suis un cauchemar. — Il sourit. Machiavel n’aurait pu être plus terrifiant. Le sorcier hurle à l’aide. L’autre sourit encore. Un rire léger se mêle au brouillard. Il se penche vers sa proie. L’autre essaie de reculer mais tire sur ses chairs en lambeaux. Hurle à nouveau. Douce sonorité. Crie, crie autant que tu veux. Personne ne peut t’entendre. — Mais tu ne peux pas te réveiller. — Personne ne peut l’aider à se réveiller. Il se redresse après avoir chuchoté à l’oreille du mort. Oui, il le sera bientôt. Tel la faucheuse, il toise le prochain nom sur la liste. Celui qu’il reste à rayer. Il tend la main et une épée y fait son apparition, comme issue de la fumée aux alentours. Sortilège informulé. Si facile. Un sourire satisfait plane sur son visage. Il teste la pointe l’épée longue. Clarion, l’étoile du jour. Un sifflement. Comme le chant du cristal. Le chant des anges. Un ange en particulier. La mort vient réclamer son dut. La tête roule dans le brouillard et disparaît. Le sang se mêle au gris de l’air. Rouge et gris. Il essuie la lame, admire la lueur sanglante qui nappe sa douceur d’argent. Puis elle disparaît comme elle est apparue. Le sorcier se met à siffloter un air gai et disparaît à son tour.

Il réapparait à Londres. Le Londres qu’il avait quitté un peu plus tôt. Les mains dans les poches, un sourire vissé aux lèvres, il est de nouveau devant le café. La serveuse l’aperçoit et le rejoint sur la terrasse. Il se penche légèrement en avant. Il est bien trop grand pour elle. Son sourire est resplendissant, déteignant sur le visage de la Moldue. Il tend la main, s’empare de celle de la serveuse. Le plateau tombe dans un bruit mat. Les gens se retournent. Un sourire satisfait dévore son visage alors qu’il dépose un baiser sur les phalanges de la demoiselle. — Que diriez-vous d’une escapade dans les quartiers un peu moins ennuyeux ? — Elle s’apprête à refuser, arguant qu’elle ne peut pas, son travail… Il agite son index sous son nez, sa main toujours dans la sienne, avec un petit claquement de langue réprobateur. — Ne vous souciez pas du reste. Le monde ne va pas s’arrêter de tourner parce que vous vous échapper. — Un nouveau sourire charmeur et elle défait son tablier pour le laisser tomber à côté du plateau. Ses talons hauts claquent sur le pavé alors qu’elle s’approche de lui. Il glisse son bras sur le sien et l’entraîne vers la foule. Pervertisseur des âmes pures. Plus tard, il la déposerait près de son job perdu, le même sourire toujours fiché sur les lèvres. Il ne tuait pas les Moldus… mais ça ne l’empêchait pas de ruiner leur vie quand l’envie lui prenait.