❝I. STORYBOARD

Rhiannon se trouvait dans l’arrière-boutique. Elle terminait de donner à manger aux animaux. Ses animaux. Enfin, pas vraiment les siens. Un jour, avec de la chance, ils trouveraient un gentil sorcier, ou une gentille sorcière, qui prendrait soin d’eux. Elle gratouilla la tête d’une chouette que sa chatte regardait avec des grands yeux. Non pas affamée, non. Cara avait l’habitude des autres animaux présents autour de sa maîtresse. Elle était un peu leur petite reine, celle qui se pavanait dans toute la boutique ou se posait sur le haut d’une étagère pour observer les clients d’un œil inquisiteur. Elle faisait toujours beaucoup d’effets aux nouveaux venus et ne manquait jamais de faire rire Rhia au moins une fois par jour. De nouveau, un sourire effleura les lèvres de la jeune femme alors que la chatte angora poussa un petit miaulement. — Qu’est-ce qu’il y a, crapule, tu es jalouse ? — Elle tira la langue et sa fidèle amie et, gentiment, sur sa queue. L’animal s’éloigna, outré. La sorcière vida un sac de graines dans la mangeoire des oiseaux et embrassa du regard la pièce. Elle ne se sentait bien qu’avec les animaux. Pourquoi s’encombrer des hommes alors qu’elle avait les meilleurs compagnons du monde ? Elle poussa un petit soupir. Sa mère aurait sûrement dit qu’elle devrait peut-être penser à changer d’avis. Après tout, elle n’était plus toute jeune. Elle pouvait presque l’entendre parler. Elle poussa un petit soupir, récupéra son sac près d’une étagère et éteignit la lumière. Ses clés teintèrent entre ses doigts alors qu’elle verrouillait la porte de derrière. Elle aurait préféré sortir par devant, ces temps-ci, mais c’était bien moins pratique. Elle n’aimait pas cette ruelle sombre, si près de l’allée des Embrumes, sur laquelle donnait la porte de service. Elle rangea les clés dans le fond de la poche de son blouson et se retourna, les bras croisés pour se protéger du froid. L’air sentait la neige. Londres allait sûrement se retrouver sous un tapis blanc sous peu. Rhiannon aimait la neige. Elle avait de bons souvenirs avec l’hiver. Mais cela faisait bien longtemps qu’elle n’en avait pas vraiment profité. Un bruit se fit entendre derrière elle. Elle marqua un bref temps d’arrêt avant de reprendre sa marche. Ses talons claquaient sur le sol pavé non uniforme. L’habitude, pour ne pas se tordre la cheville alors même que son attention était rivée sur le bruit de pas derrière elle. Au détour d’une ruelle, elle s’arrêta et s’abaissa comme si elle remettait en place les lacets qui ornaient ses chaussures. En vérité, elle faisait passer sa dague de son emplacement habituel dans la manche de son manteau. Elle se redressa lentement mais ne se remit pas en route pour autant. Les bruits de pas s’étaient arrêtés et finalement elle reprit son chemin.

Evidemment, les bruits de pas reprirent. Rhiannon réarrangea sa manche. Elle s’arrêta soudain et se retourna précipitamment. Ses doigts entouraient le manche de sa dague dont la lame luisait doucement dans la lumière troublée des lampadaires. Le métal froid se retrouva à caresser la chair blafarde de son poursuivant. Il était plus grand qu’elle, vingt centimètres au moins. Rhia planta son regard marron dans celui de l’inconnu. Les dents serrées, elle ne laisserait pas un millimètre de liberté. Pas un seul. Elle savait qu’elle était traquée. Enfin, sûrement pas plus qu’un autre Né-Moldu mais elle ne supportait pas ça. — Que me voulez-vous ?! Dites-le moi ?! Vous voulez me mettre à l’ombre, c’est ça ? — Elle ne se laisserait pas faire. Non. L’autre lui lança un regard étonné. Il avait l’air complètement choqué. Rhiannon se mit à douter un instant. Ses yeux passèrent rapidement sur la silhouette de l’homme. Il n’avait pas l’air d’un Mangemort, ni même d’un de leurs sbires qu’ils envoyaient partout… mais certains étaient plus malins que d’autres. Même si celui qu’elle avait en face de lui semblait innocent, elle ne pouvait s’empêcher de penser à tout ce que ça impliquerait s’il ne l’était pas. Ses dents étaient toujours serrées. Sa main trembla légèrement sur la gorge de l’homme. Non. Elle n’allait pas le tuer, là, maintenant. Elle ne pouvait pas. Elle ne supporterait pas non plus de laisser passer et de se faire poignarder dans le dos. — Dites-moi ! — insista-t-elle en faisant un pas en avant. L’autre recula en levant les mains. Aucune baguette. Mais peut-être qu’il était adepte des sortilèges informulés. Ne pas baisser sa garde. Non. Ne pas faire confiance à une jolie paire de yeux bleus. Non. — Je suis passé au magasin, en début d’après-midi… Je… Je suis venu acheter une chauve-souris. — Il balbutiait. Rhiannon voyait bien, dans ses prunelles, qu’il menaçait de la prendre pour une folle. — Je voulais juste vous inviter… à prendre un verre. — Rhiannon cligna des yeux plusieurs fois et ses doigts se détachèrent du col de son blouson tout en le repoussant, éloignant la dague de sa gorge. Elle resta silencieuse un moment et opta pour la colère plutôt que pour la gêne. — Ça aurait été plus judicieux de le faire en pleine lumière, vous ne croyez pas ? — Elle secoua la tête, glissa son arme dans sa manche et se détourna avant de se mettre à courir pour quitter la ruelle. Elle n’entendit pas les derniers mots de l’inconnu, occultés par le vent qui soufflait dans ses cheveux.

Un peu plus loin, Rhiannon avait transplané pour arriver près de chez elle. Pas directement. Cara arriva tranquillement à côté d’elle, l’air de rien, et poussa son miaulement habituel. La sorcière se baissa pour la prendre ses bras et le chat ronchonna. — Chut, vilaine. — Elle rentra chez elle et vérifia que tout était bien fermé à clé. Une fois que ce fut fait, elle s’installa devant la cheminée avec une tasse de tisane à la vanille. Elle la posa sur la table basse et tendit la main pour caresser Cara. — Ma belle, je devrais être moins paranoïaque… Ça va finir par m’attirer plus d’ennuis que j’en ai déjà… — Elle prit son visage entre ses mains et secoua la tête. Le chat lui donna un coup de tête réconfortant et encourageant. A chaque fois qu’elle fermait les paupières, elle voyait les visages de ses parents se dessiner contre l’obscurité. Ils étaient heureux, resplendissant dans leur grand âge. Elle ne voulait pas les perdre. Même si pour ça, elle avait du mettre de la distance entre elle et eux. Cela lui avait déchiré le cœur. Ils étaient bien les seuls avec qui elle aimait réellement passer du temps. Les yeux toujours fermés, elle se laissa alors contre le dossier du canapé et profita de la chaleur du feu contre son visage. Elle s’imaginait quelque part. Ailleurs. Loin d’ici. Dans un autre monde. Une autre réalité peut-être. Dans un nid bien douillet où tout ce qu’elle chérissait était en sécurité. Elle se calmait comme elle le pouvait. Et son moyen le plus efficace était de s’inventer un monde, de s’y perdre pendant un temps. Elle chuchota quelques mots. Un sortilège de protection. Un rituel, une chose qu’elle accomplissait si souvent qu’elle n’y prenait plus garde. Elle s’allongea sur la couverture duveteuse et ses doigts retrouvèrent les poils longs de sa fidèle amie.

Dans son demi-rêve, elle ouvrit les yeux. Elle se trouvait dans une forêt, allongée sur un tapis de mousse moelleux. Les arbres étaient d’un vert à la fois pâle et sombre. Un contraste qui se jouait un peu partout. C’en était presque féérique. Mais bien vite, elle se rendit compte que sur ce tapis de mousse, elle n’était pas seule. Elle se retourna précipitamment, prête à bondir, à se défendre, n’importe quoi. Elle n’avait pas sa dague. Elle ne l’avait pas suivie dans le rêve pour une fois. Cependant, derrière elle, elle découvrit une silhouette tranquille se mêlait habilement dans le paysage aux diverses tons de verts. Pourtant, alors qu’il ouvrit un œil et se redressa, remuant légèrement, ses écailles se parèrent de milles étincelles allant de l’or à l’ambre le plus pur. Un dragon. Rhiannon écarquilla les yeux alors qu’il étendait son aile au dessus d’elle pour la garder dans son petit nid douillet. De la vapeur s’échappa tranquillement de ses naseaux alors qu’il la fixait de ses yeux de soleil liquide. — Pourquoi veux-tu t’en aller ? Tu es en sécurité ici. Tout ce qui est ici ne sera jamais touché par autre que moi. — Le dragon et leurs trésors. Dans le monde qui l’attendait de l’autre côté de ce rêve, ils ne parlaient pas et leur trésor était principalement leurs œufs. Ils n’étaient pas collectionneurs comme ceux qu’elle aimait s’imaginer. — Je ne veux pas être une babiole comme les autres. — De nouveau, de la fumée siffla de ses narines et ses yeux luirent un peu plus. — Qui te dit que c’est le cas… ? — Le dragon se redressa et la toisa de toute sa hauteur avant de retomber sur ses quatre pattes et d’avancer vers elle. Elle tomba en arrière, sur ses coudes. Son souffle chaud caressa doucement son visage alors qu’il se penchait sur elle. Il avait l’air à la fois menaçant et terriblement… tentant. Ne jamais défier un dragon. Ne jamais lui tenir tête. Elle recula encore un peu sur la mousse et il ouvrit ses ailes en grand. Elle se perdit dans leur contemplation pendant un instant avant qu’il n’ouvre grand sa gueule, son visage à quelques centimètres du sien à peine. Une lumière dorée emplit son champ de vision et elle leva la main pour se protéger. — NAAAOOOO…

….OOOON ! — Elle se redressa en sursaut et roula en bas du canapé, en position de combat. Cara poussa un miaulement outré et se cacha en dessous du fauteuil alors que la même lumière ambrée illuminait la petite maison. C’était son sortilège de protection. Il s’activait dans tous les sens. Quelqu’un voulait pénétrer dans la maison. Les doigts de la sorcière trouvèrent bien vite leur amie et sa dague se retrouva de nouveau dans sa main, sa baguette dans l’autre. Elle avait appris à se servir de sa main gauche pour combattre, laissant la droite pour la magie. Ils l’avaient retrouvée. Elle revit en flash les yeux bleus de celui qui l’avait suivie. Il n’avait peut-être pas de rapport avec ça. Peut-être que si. Elle pourrait transplaner. Mais s’ils l’avaient retrouvée ici, ça ne servait à rien. Dissimulée par le sofa, elle jeta un coup d’œil vers le centre de la pièce. Etrangement, la lumière ne la dérangeait pas. C’était son sort après tout. Par contre, pour les autres… — C’est quoi cette fichue lumière ?! Je vois rien, bordel !!! — Rhia se déplaça en silence vers les deux hommes qui se trouvaient dans sa salle à manger. Cara l’accompagnait, aplatie sur le sol. La forte lumière ne semblait pas la déranger non plus. La jeune femme était toujours accroupie et une fois qu’elle fut assez près, elle s’élança et sa dague traversa le pantalon de l’un des sorciers comme du beurre pour venir trancher son tendon d’Achille. Il s’écroula dans un hurlement et elle lui écrasa les doigts pour le faire lâcher sa baguette. L’autre se tourna vers Rhiannon en brandissant sa baguette. Cara en profita pour lui sauter dessus et lui griffa le visage. Elle s’écarta juste à temps pour éviter un sort et Rhia lui agita sa baguette sous le nez. — Tu touches à un seul de ses poils et je te fais roussir. — Sa voix était caverneuse, bien différente de celle de la gentille jeune femme qui vend des animaux sur le chemin de Traverse. Caverneuse, basse, sombre. Son regard était rivé à celui de son ennemi, sa baguette sous son menton, sa dague pressée contre son estomac. Elle s’écarta pourtant légèrement, le gardant à portée de main. Sa baguette lança des étincelles rouges et le Mangemort fut propulsé plus loin dans la pièce, brisant une étagère remplie de bibelots. Sans attendre une seconde, Rhiannon lança un second sort. Et, alors que la lumière ambrée du sort de protection s’estompait, une autre la remplaçait, comme de l’or en fusion, ondulant sur les murs. Cara bondit sur les épaules de sa maîtresse qui disparut dans un brouillement de fumée alors que sa maison prenait feu.

Alors qu’elle réapparaissait, Rhiannon s’effondra dans la neige légère soulevée par son arrivée. Elle se releva à demi, sur un genou. Elle n’avait guère pensé à l’endroit où elle pouvait bien aller. Finalement, elle était à Godric’s Allow, tout près du cimetière. Le vent soulevait la neige fraîche qui s’enroulait en petits tourbillons. Cara sauta de ses épaules pour venir se frotter contre ses chevilles. La sorcière, quant à elle, avait le souffle court. Des larmes ruisselaient sur ses joues. Elle voulait prendre contact avec ses parents. Elle voulait savoir s’ils allaient bien. Si les Mangemorts étaient passés par chez eux avant de venir la voir. Mais si ce n’était pas le cas, elle risquait de les mettre en danger rien qu’en voulant s’assurer qu’ils allaient bien. Elle se laissa retomber au sol, sa baguette et sa dague toujours entre ses mains. Les larmes ruisselaient en torrents gelés sur ses joues et son corps était secoué de sanglots. Elle ne parvenait plus à respirer correctement et sa gorge laissait échapper des gémissements pitoyables. Cara se glissa entre ses genoux et se mit à ronronner doucement. Ses doigts, sans se détacher de sa baguette, se mêlèrent aux poils doux de l’animal, machinalement. Elle ne sait pas combien de temps elle resta ainsi. Elle n’en avait cure. Personne ne traînait ce jour-là. La nuit tombait. Elle commençait à grelotter. Elle n’avait pas de chaussures. Pas de manteau. A peine un pull suffisamment épais. Elle releva finalement la tête et son regard troublé par les larmes passa sur le paysage de plus en plus blanc. Elle devait trouver un endroit où se loger. Elle se redressa, presque debout, quand elle découvrit une silhouette au loin. Elle rangea sa baguette bien que le village soit peuplé de sorciers. Elle ne conservait que sa dague, à portée de main, dans sa manche. — Qui êtes-vous ? — Sa voix s’éleva, grelottante. Elle avait envie de se trouver une chambre d’hôtel, d’aller se réchauffer, mais elle ne pouvait pas. Pas tant qu’il y avait cette silhouette, à peine une ombre, un peu plus loin. Pas tant qu’elle était sûre que tourner le dos n’était pas synonyme de mort.