La vie est un vase morcelé de quelques imperfections qui finit par déborder lorsque nous arrivons au bout de notre périple…ou tout simplement au bout de nos limites humaines. La mienne a débordé bien trop tôt.
Accroupie à l’ombre des buissons, mes chaussures et mes chevilles dévorées par l’épaisse couche de neige granuleuse, j’attendais que le danger se dissipe. Ils étaient quatre fidèles, quatre mangemorts à la botte de Vous Savez Qui sur mes talons et après une longue course poursuite jusqu’au cœur de la forêt, j’étais finalement parvenue à les semer. Mon cœur tambourinait contre ma poitrine endoloris et j’avais l’impression que mes poumons étaient écrasés par ma cage thoracique, m’empêchant de respirer convenablement. J’étais hors d’haleine, les membres tremblants. Malade depuis une semaine, mon état déplorable ne me permettait pas de combattre au mieux de ma forme et j’avais préféré prendre la poudre d’escampette lorsque quatre silhouettes encapuchonnées, semblables à des fantômes de la mort, étaient apparues à la lisière du bois, alors que je revenais d’une cueillette de champignons pour guérir le maux qui m’assiégeait depuis quelques jours. Grâce à mon sens de l’observation et de l’écoute accentuée par une habitude quotidienne depuis mon enfance, je pouvais entendre les craquements dans la neige s’éloigner à mesure que la petite troupe de vilains sorciers disparaissaient dans le blanc maculé du décor. Mais je n’osais bouger, comme tétanisée alors que j’avais déjà affronté bien pire. Cette situation de fuite, cette position de défense me rappelait ces souvenirs répétitifs où, cachée derrière le lit en baldaquin de ma chambre, alors que je n’étais encore qu’une enfant, je voyais la silhouette d’un homme se rapprocher dangereusement de ma cachette. J’entendais encore clairement le bruit de la ceinture qu’il faisait durement claquer contre la moquette, un son qui était resté à jamais gravé dans mon âme, qui m’a marqué à vie, à mon grand regret. Et lorsque j’étais repérée et à sa merci, je me souvenais encore de la sensation de déchirement, de cette douleur cuisante et inoubliable provoquée par le baiser violent du cuir contre ma chair. Ce sourire cruel plaqué sur les lèvres charnues de mon paternel alors qu’il accomplissait cet acte abominable…je n’arriverai jamais à dissiper cette image de mes souvenirs.
Une bonne dizaine de minutes s’étaient écoulées depuis que mes 4 ennemis avaient disparu de mon champ de vision. Ce sentiment de peur m’avait littéralement cloué au sol et je ressentis à présent pleinement la bise glacée des flocons de neige, la caresse mordante du vent d’hiver. Malgré l’épaisseur de mes bottes en cuir, le froid avait finit par avoir eu raison de mon attente et j’étais gelée des orteils au visage. Bon sang Dalhia, ressaisis-toi ! Bombée d’un courage nouveau, je me remis debout, un peu pantelante et incertaine de mes mouvements. A mesure que la neige tombait en masse de flocons dans la région, mes anciennes traces de pas commençaient doucement à s’effacer. Elle gommerait bientôt intégralement mon passage et cette mauvaise heure ne sera plus qu’un mauvais souvenir effacé par les bons soins de Dame nature. La neige, blanche et froide, parfaite et maculée, elle avait le talent de m’éblouir chaque année, de reposer mon âme tourmentée et de m’offrir la sérénité souhaitée. Alors que je réchauffai tant bien que mal le bout de mes phalanges blanchies par le froid en y injectant un souffle tiède, je fis direction vers la ville, évitant branches et obstacles qui pourraient immanquablement me faire chuter. Mes prunelles céruléennes étaient à l’affut du moindre mouvement suspect. Je n’étais pas en état de combattre. La veille, la période de la pleine lune avait suffit à me vider de mes dernières forces, ce qui ne m’avait pas aidé à guérir de la grippe qui me rongeait depuis quelques jours. A cet instant, j’en venais même à me demander avec quelles forces est-ce que je parvenais à me tenir debout. Mais je n’étais pas du genre à baisser les bras pour un rien. Combative et persévérante, ces deux qualités ont toujours su m’amener là où je le voulais.
«
Dalhia !? »
Cette voix, inquiète et familière, me fit stopper net dans mon avancer. Au loin, à peu près à 200 mètres de là où je me trouvai, je commençai à distinguer une silhouette en mouvement. Alexandre ! Un ami inespéré ! Une vague d’espoir et de réconfort me submergea à l’instant où je reconnus mon frère d’âme.
«
Ici ! »Réussis-je à hurler du peu de voix qui me restait. L’autre auror, guidé par ma voix brisée, finit bientôt par me rejoindre. Emmailloté dans un épais manteau d’hiver, il tenait sa baguette en main. En constatant mon état piteux, je le vis se défaire de sa veste pour la mettre sur moi avant de me soutenir au moyen de l’un de ses bras puissants.
«
Bon sang Dalhia, dans quel état tu es ! Quand j’ai vu ces mangemorts te poursuivre, j’ai essayé de les rattraper mais avec les séquelles à ma jambe, pas moyen de vous rattr… » «
Chut...tu n’as pas besoin de te justifier…ils sont partis à présent. » Langueur, bien être, soulagement, qu’est-ce que je pouvais me sentir bien ainsi, à moitié soutenue par mon meilleur ami. Je n’étais pas très expressive de mes émotions, mais Alexandre me connaissait suffisamment bien pour savoir que je lui étais reconnaissante d’être arrivé jusqu’à moi, sans quoi, je ne sais pas pas si je serai parvenue à faire le chemin inverse toute seule. J’aurai pu transplaner, mais la zone dans laquelle je me trouvai était magiquement protégée et empêchait de s’enfuir par cette méthode fainéante et rapide.
Bien que nous cessions d’avancer entre les arbres aux troncs noueux, je me sentais peu à peu dérivée sur le fleuve de l’inconscience. Le froid engourdissait mon corps et mon âme et mes jambes avaient difficiles à me soutenir. Bien qu’aidée par Alexandre, nos corps collés l’un contre l’autre, je peinais à avancer. L’autre auror dut s’en rendre compte au bout d’un moment car mes pieds finirent par décoller du sol enneigé et je me sentis voltiger dans les airs pour finalement atterrir sur le dos d’Alexandre. «
HEY !? Alexandre, redépose-moi tout de suite ! » Quelle douce sensation que de se faire ignorer. Mes vaines protestations se heurtèrent à un mur de silence et je dus me résigner, au final mieux lotis sur le dos large de mon camarade plutôt que debout sur mes propres jambes. Cette position confortable était un plus pour m’entraîner vers les limbes de l’inconscience, et j’aurai beau lutter pour ne pas me laisser gagner par ce sommeil lourd et pressant, mes efforts seront vains et sans résultats probants. Je n’aimai pas dépendre des autres, c’est bien une chose qui m’horripile, mais Alexandre savait que dans des pénibles moments comme celui-ci, malgré ma nature solitaire et réservée, je ne souhaitai qu’une chose : le réconfort de la chaleur humaine. C’est d’ailleurs cette raison qui m’amène bien trop souvent à finir dans le lit d’un ou d’une inconnue après le boulot. Lorsque ce sentiment de besoin, ce désir de réconfort auprès d’un corps chaud fait surface, je me laisse peu à peu gagner par l’envie de satisfaire cette soif cruelle de fausse ou réelle tendresse. Ce loisir est la cause de mes nombreuses allées venues dans différents bars où j’aime éreinter ma soif de quelques alcools forts qui finissent en fin de compte par m’engourdir. «
Nous arrivons bientôt Dal.. » Mais je n’entendis pas la fin de sa phrase. La voix d’Alexandre s’évanouit sitôt que je plongeai dans l’inconscience, ce monde noir d’abysse. Scrupuleux et menaçant, il vous entraîne dans des funestes souvenirs dont vous pensiez être défaits.
1er souvenir « E
nfant indigne, comment avons-nous pu engendrer ça !? Retournes immédiatement dans ta chambre ! » Lobotomisée par cet ordre menaçant, je pris mes jambes à mon cou et me réfugia dans ma chambre, le visage mouillé par les larmes. Accolée derrière la porte close de mon refuge, je pouvais aisément entendre les éclats de voix qui sévissaient dans le couloir. «
Ah, mais qu’a-t-on fait pour mériter une telle punition ! Cet enfant est inutile et attire la honte sur notre famille ! » «
Chut, parle moins fort, la petite va t’entendre » Qu’avais-je donc fait pour attirer la haine de toute famille ?
Etre différente d’eux.
Tout Simplement…
En m’opposant à leur volonté, en ne souhaitant pas faire le mal, propager la souffrance autour de moi et devenir aussi pourrie de l’intérieur que Cassandre et Ambroise.
Nous vivons dans un pays libre d’expression?
Quelle dérision…
2ème souvenir «
Vous avez récemment emménagée à Londres mademoiselle Sombregard ? Il vous faudra signer ces documents comme quoi vous souhaitez changer de nationalité. Oh, vous êtes auror à ce que je vois, excellent, vous ne devriez pas avoir trop de mal dans les changements administratifs. »
Ce jour-là, je venais de fêter mes 22 ans. Voilà 5 ans que j’avais terminé mes études à beauxbâtons, 5 ans que j’ai quitté le nid familial, 5 ans que j’ai pris la fuite pour goûter à ce doux sentiment désiré, cherché, qui a fait office de nombreuses guerres par les hommes : la liberté. Grâce aux économies enrichies par les petits boulots tout au long de l’année, je suis parvenue à payer ma formation d’auror. Après avoir coupé les ponts avec ma famille, j’ai été hébergé pendant quelques temps par des amis avant de me payer un petit appartement dans la périphérie de Londres.
3ème souvenir Oppression, perdition, lente agonie, déchirement.
J’avais mal et j’avais beau essayé de m’échapper de son étreinte, la pression de ses crocs dans mon épaule ne se défaisait pas. La douleur commençait à devenir insupportable. Je pouvais sentir le sang s’écouler de mon corps. Mon dos brûlait comme une fournaise. Les griffes avaient littéralement lacérés mon dos, arrachant des couches de peau à leur passage, mais ces blessures n’étaient pas la principale de mes priorités car la gueule du loup garou continuait de s’agiter autour de mon omoplate dénudée. Sous le coup d’une impulsion animale, les crocs de l’animal avaient arrachés un bout de tissu de ma chemise, offrant une épaule nue et vierge de blessures à la bête assoiffée. Cette nuit-là, si Alexander n’était pas venu à ma rescousse, je serai morte, croupissant six pieds sous terre et mon corps ne serait plus qu’un relent de décomposition répugnante.
Tous deux en mission alors que pas plus tard que la veille, j’avais fêté mes 25 ans avec Alexandre, nous avions été surpris par l’arrivée inopportune d’un lycanthrope déchaîné. C’est moi qui subis les contrecoups de cette attaque et je fus transformée en cette créature mythique.
4ème souvenir «
Dalhia… » Mmm, quel doux murmure… Je pouvais sentir les caresses d’une paire de lèvres douces et sensuelles glisser sur l’arête de ma mâchoire, remonter vers le coin de mes lèvres puis baiser la fine peau de mes paupières closes. Ce contact chaud et délicieux était un bon moyen de me réveiller en douceur. «
Humm » Un rire cristallin résonna au creux de mes oreilles et je sentis les draps dans lesquels j’étais enroulé s’envoler. Brrr, vipère d’amante ! Je grognai de satisfaction bien que mes lèvres étaient étirées en un doux sourire. «
Allez, lève toi ma jolie ! » Amante d’un soir, amante irrégulière, mais amante dévouée que j’allais délaissé dans quelques minutes pour goûter à une nouvelle journée de travail et qui sais, peut-être m’offrir une future soirée de solitude, à moins que je ne tombe dans les bras d’une nouvelle proie…Et je sais très bien qu’il en sera de même pour ma compagne d’une nuit.
5ème souvenir « ENDOLORIS ! » Le sortilège frôla de peu mon compagnon de mission que j’envoyai heureusement paître sans douceur au sol. « Orion, fais donc attention, il ne manquerait plus qu’ils te cuisent à la broche ! » Baguettes en mains, nous nous relevâmes prestement pour repousser le groupe de mangemorts que nous avions discrètement filé. Visiblement pas assez discretèment puisqu’ils avaient fini nous repérer lorsque ce bêta d’Orion avait éternué comme un ours. Je bloquai mon esprit grâce à la legimencie, au cas où l’un de ces babouins essaierait de déterminer notre identité en s’introduisant dans mon esprit. « Sectum Sempra ! » Je roulai à nouveau à terre en évitant cet énième sortilege après avoir pétrifié deux de nos ennemis.
Cette soirée allait être bien plus longue que je ne l’aurai présagé…oh que oui…
Mon esprit était peu à peu assiégé par ce tourbillon de souvenirs noirs et blancs.