Elle se débattait dans l'obscurité, le coeur battant la chamade, comme chaque nuit. Plongée dans ce sommeil cauchemardesque, le souffle sifflant d'une terreur sans nom, elle lançait les ongles pour lacérer le vide. Elle pouvait chercher à le griffer, à faire saigner l'épiderme, c'était peine perdue, il n'y avait au dessus de son corps qu'une couverture. Une couverture et le fantôme d'un souvenir déjà lointain et pourtant ancré dans son âme comme si la scène s'était déroulée la veille. Elle revoyait son visage, elle revoyait ces grands yeux clairs empreints d'un désir non dissimulé, incontrôlable, violent.. il s'était montré violent. Ses mains avaient frôlé sa peau, ses lèvres capturant les siennes alors qu'elle tentait de s'échapper de cette étreinte mortelle. Animal en cage. Animal piégé. Il la dévorait, la savourait comme un trophée, elle le haïssait, lui crachait sa haine au visage sans parvenir à le dégoûter.. bien au contraire, il semblait vibrer toujours plus de cette résistance, lui soufflant qu'elle allait finir par aimer. Oui, elle aimerait, et il en était persuadé. La nuisette fut remontée, avec une délicatesse qui contrastait grandement avec le reste de ses gestes, il n'était pas le genre d'homme à donner, il recevait, prenait, et délaissait.. mais alors qu'elle plantait ses ongles dans la nuque, il se surprit à éprouver un semblant de remord, l'envie de se faire pardonner.. sans pour autant mettre fin à cet acte digne d'une tragédie. La silhouette a glissé sur le côté, prisonnière des démons qui s'amusaient à la hanter. « Non.. » un souffle dans la noirceur de la chambre. « Non ! » Répétition, presque hurlée. Elle ne voulait pas. Pas encore. Pas cette fois. Son esprit faisait tout ce qu'il pouvait pour tenter de changer ce morceau de vie.. inutile. La fin, cette fin, était inéluctable.

Elle a sursauté. Elle s'est redressée dans les draps, ses prunelles grises cherchant à transpercer les meubles pour déceler une présence, n'importe laquelle. Elle se sentait en danger.. mais Calyxtha se sentait toujours en danger, lorsqu'elle était seule, lorsqu'elle s'extirpait du souvenir de cette nuit-là. Ses doigts fins vinrent allumer la lumière, elle espérait ainsi se rassurer, reprendre ses esprits, consciente pourtant que cela ne suffirait pas. Elle avait encore son visage imprimé sur la rétine. Long soupir. Elle expulsait la tension. La jeune femme finit par sortir de ses draps pour se diriger vers la coiffeuse qui ornait un coin de la chambre, se confrontant à son reflet et à la teinte bleutée de ses cheveux. La peur s'était infiltrée jusque sur son apparence. De ses traits, on retenait la finesse. De sa peau, l'on retenait la pâleur. De son regard on retenait le gris acier qui tirait parfois vers d'autres couleurs.. mais sur l'instant, seule la crinière retombant sur ses épaules attirait l'attention. « Cela te va à merveille, mon coeur. » Elle s'est figée, l'air cessant d'infiltrer ses poumons, la terreur prenant sa place dans ses veines. Elle manqua deux, trois battements de cet organe vital qui s'agitait dans une course folle. Dans le reflet du miroir, elle venait de voir apparaître l'ombre tant redoutée. Il était toujours beau à s'en damner et elle ne parvenait plus à distinguer le cauchemar de la réalité. « Tu n'es pas là. » Ton froid, tranchant. Calyxtha reprenait contenance. La couleur schtroumpf a cédé sa place au châtain naturel de la poupée glacée qui se tenait droite devant le meuble, n'ayant pas daigné se retourner. « Tu n'existes pas. » Elle avait sifflé ses mots entre ses dents, comme s'il s'agissait d'un venin mortel. « Tu te mens à toi-même.. vilaine fille.. on ne t'as pas enseigné que c'est mal, de mentir ? » Il s'était approché, se glissant derrière elle, prenant délicatement la chevelure de la belle pour l'écarter d'un seul côté du cou, venant caresser l'autre du bout des doigts. Dieu qu'elle s'en voulait d'aimer ça. « Notre nuit d'amour perturbe tes rêves, ma princesse ? » Question rhétorique, moquerie. Salaud, pensa-t-elle. Calyxtha avait toujours exécré ce garçon, en première année déjà ils se rendaient mutuellement la vie impossible. Au fil des années leurs jeux étaient devenus de plus en plus malsain, chacun ayant conscience de l'attirance envers l'autre sans vouloir se l'avouer. Plus ils voulaient se faire souffrir et plus ils s'attachaient. Lui s'était résigné, il avait accepté ses sentiments, aussi troublants que paradoxaux, envers la jeune Lipovsky, mais elle s'y refusait toujours, comme si cela ferait s'effondrer sa tour d'ivoire, le château de cartes de son âme. Etait-ce vraiment cette nuit-là, qui l'empêchait de dormir, où lesdits sentiments venus se greffer à son être lorsqu'elle se trouvait au creux de ses bras, contre son corps ?

« Ce n'était pas de l'amour. » Décréta-t-elle sans bouger, fixant leurs reflets. « Et qu'était-ce alors ? » Il a déposé un baiser près de l'épaule, poussant un peu la bretelle de la nuisette que portait la jeune femme. Elle a réprimé un frisson. « Je l'ai bien vu, que tu as aimé ça.. sur la fin. » Un noeud dans l'estomac, la gorge sèche, la déglutition fut difficile. « Dans tes plus sombres fantasme, sans doutes. » Sourire en coin. Un second baiser. « Tu es de mauvaise foi, Calyxtha. » Rire amer. Acidité au bout de la langue, elle a attrapé la baguette posée sur le meuble de bois blanc, dans un geste vif. Il a froncé les sourcils, sans s'écarter. « Mmh.. tu n'oseras pas et tu le sais, très chère. » La douceur et la fragilité apparentes de la dénommée Calyxtha se sont évanouies, soufflée par le vent de la colère, son regard lui lançant des éclairs. « Que tu crois. Dégage. Transplane. Pars, ou je cris. Et tu sais comme moi que mon père n'aura pas de scrupules à te rendre fou. Un Doloris te tenterait-il, mon Prince ? » Il s'est éloigné, a reculé de quelques pas, dans le calme le plus parfait, avant de s'évanouir de la pièce, non sans lui lancer un dernier sourire, léger, presque imperceptible, mais qu'elle n'a pas manqué.. comme une promesse qu'ils n'en resteraient pas là.