Crispin était à Poudlard depuis plusieurs années déjà. Il était en cinquième année plus précisément. À Poufsouffle. La meilleure des maisons à ses yeux. Les Poufsouffles sont les plus loyaux, les plus fidèles et ils pensent à leurs amis, à leurs familles par dessus tout. Comment Crispin n'aurait-il pas pu être fier d'appartenir à une telle maison ? Il était fier d'être à Poufsouffle et ce depuis que le Choixpeau avait été posé sur ses cheveux blonds. Il étudiait sans relâche, se prenant de passion pour les cours de droit, tout autant Moldus que des sorciers. Son petit frère avait disparu depuis bien longtemps mais il ne l'oubliait pas. Et, dans ces cours qu'il suivait avec acharnement, il espérait pouvoir un jour coincé les monstres qui avaient enlevé le nourrisson à sa famille et les punir de leur crime. Ou même retrouver celui qui manquait tant à son père et à sa mère. Même à lui. Surtout à lui. Et puis, cela faisait déjà deux ans qu'un climat obscur régnait sur le monde des sorciers. Un ancien Serpentard avait pris la grosse tête et voulait anéantir ses opposants et les Moldus. Des camps se formaient à l'école, ceux qui soutenaient cette idée. Ceux qui en étaient révoltés. Evidemment, Crispin faisait partie de la seconde catégorie. De son statut de Poufsouffle, il aurait pu se faire chahuter par les Serpentards. Il aurait pu se faire taper dessus, se prendre des sorts dans le derrière. Mais déjà à cette époque, le jeune homme parvenait à sentir quand les gens mentaient. Personne ne veut que l'on annonce à votre petite amie que votre « Je t'aime » est tout ce qu'il y a de plus faux, n'est-ce pas ? Si Crispin se faisait pourtant discret, il n'en était déjà pourtant pas moins un défenseur des plus faibles. Il traquait le mensonge avec une avidité croissante, ne supportant pas cela. C'était comme une petite trahison. Evidemment, beaucoup le regardaient d'un mauvais oeil, attendaient seulement qu'il affiche un point vulnérable pour l'anéantir. Il pouvait sentir les mensonges de ceux qui soutenaient ce mage noir. Il pouvait sentir qu'ils manigançaient tous quelque chose. Qu'ils cachaient au fond de leur coeur ce qui les animaient vraiment à apprendre la magie. Devenir plus forts, devenir plus puissants pour pouvoir rejoindre les rangs de ce qu'on appelait les Mangemorts pour assouvir le monde. Rien que cette pensée donnait la nausée à Crispin.

C'était d'ailleurs alors qu'il fuyait une bande de serpents qui s'étaient lancés à ses trousses à travers tout le château, après qu'il eut osé affirmer que le chef de la bande avait menti en disant qu'il n'était plus puceau, qu'il fit une rencontre qui changea sa vie. Crispin montait quatre à quatre les marches du château, espérant que ses poursuivants penseraient qu'il cherchait à rejoindre la cuisine et donc la salle commune des Poufsouffles et se trompent radicalement de chemin. Mais, malheureusement, il pouvait entendre leurs souliers claquer sur le sol. Sa cape un peu trop longue balayait le sol derrière lui alors qu'il jetait des petits coups d'oeil en arrière. Il arriva en haut des marches, et se lança à gauche, à défaut de vraiment savoir où il allait. Il entendait les pas se rapprocher toujours plus. Toujours plus près. Ils allaient le rattraper et dans cette partie vide du château, ils allaient lui faire sa fête. Puis, alors qu'il était hors d'haleine et qu'il perdait espoir, une main se saisit de sa capuche et le tira dans l'ombre d'une arcade. Le jeune Crispin se retrouva coincé contre le corps d'une jeune fille et, quand il releva les yeux, il rencontra des abysses marrons teintés d'une lueur de malice. Elle posa un doigt sur sa bouche pour lui intimer le silence. Mais il aurait été bien incapable de parler. Les pas passèrent à côté d'eux sans s'arrêter. Les idiots ne s'étaient même pas rendus compte qu'ils ne courraient plus après des bruits de pas sur la pierre froide. Un sourire éclaira le visage de sa sauveuse alors qu'ils furent loin. Elle repoussa Crispin qui manqua de tomber sur son derrière, toujours muet. Un rire cristallin s'éleva de la gorge de l'inconnue. Elle était à Gryffondor, Crispin le voyait au blason qui ornait sa cape de sorcière. — Alors, Jarvis, on s'attire encore des ennuis ? — Crispin lui adressa un regard étonné. Elle rit de nouveau et le coeur du jeune homme se fendit. Elle connaissait son nom et son rire lui donnait des frissons jusque dans les orteils. — Je m'appelle Cassandra. Cassandra Spade. Sixième année à Gryffondor. — Il allait balbutier son nom quand il se rappela qu'elle le savait déjà. — Comm... ? Merci. — Oui, il était plus judicieux de la remercier que de lui demander comment elle savait son nom. Le regard de Cassandra se fit moins malicieux, presque plus tendre. — Tu t'es fait une sacrée réputation, tu le sais, ça ? — Crispin eut un sourire timide et Cassadra lui donna une tape dans le bras avant de filer pour rejoindre son propre dortoir. Depuis ce jour-là, ils ne se quittèrent plus.

Neuf ans plus tard, cette guerre avec le Seigneur des Ténèbres était finie. Il avait eu le malheur de s'attaquer aux Potter et il y avait laissé la vie, à ce qu'on disait. Il y eut beaucoup de pertes, des deux côtés. Crispin n'avait jamais vraiment pris de parti au cours de cette guerre, même si son sens de la justice le poussait à défendre les innocents et donc à combattre les Mangemorts. Cassandra était comme lui. Mais plus farouche, plus sauvage. Si Crispin détectait le mensonge et les mauvaises pensées, c'était Cassandra qui s'occupait du reste. Elle était si sauvage, si indomptable que Crispin s'était toujours demandé comme lui, un intellectuel, avait réussi à gagner son coeur alors qu'elle avait émietté le sien dès leur première rencontre. Il avait passé leurs dernières années à Poudlard ensemble. Cassandra l'aidait à maîtriser sa Legilimencie et il l'aidait à contrôler sa métamorphose, son animagus. Elle était aussi majestueuse que le noble chat à poils longs dont elle prenait l'apparence. Mais, tout comme lui, elle était capable de griffer, de mordre, tout autant que des plus incroyables des caresses. Crispin en était fou amoureux. Elle avait tant de courage dans le sang, tant de feu. Elle avait le don de le faire sourire comme un idiot, mais de toujours le faire se surpasser. Il n'était pas du genre à accepter la médiocrité et le laisser-aller mais elle non plus. À eux deux, ils étaient devenus une équipe de choc. Elle, se faufilant comme une ombre pour désarmer les Serpentards, lui faisant tout pour dénicher les mauvais et faire diversion, bien qu'elle n'en ai pas besoin.

Cassandra quitta Poudlard un an avant Crispin et rejoignit sans surprise les Aurors du Ministère. Ce fut l'année la plus longue de l'existence du jeune homme mais il passait tellement de temps à travailler pour ses examens que finalement, ce ne fut pas si long que ça. Il passa ses examens avec brio, décrochant les meilleurs notes dans la plupart des matières. Cassandra était fière de lui. Si fière, si adorable, si sauvage. Evidemment, le jeune homme postula au Ministère de la Justice dès qu'il fut sorti de l'école et obtint un poste. Ce n'était pas grand chose au début. Toutefois, il en était content. Il préférait commencer au bas de l'échelle et gravir les échelons. Savoir ce que c'était que d'être en bas. Savoir pour plus tard, quand il serait plus haut placé, pour ne pas maltraiter ses employés. Oh, évidemment, il demanderait le meilleur d'eux-mêmes et ne supporterait pas la flemmardise, mais il saurait ce que c'est. Dans son bureau, il avait toujours peur pour celle qu'il aimait. Peu avant sa sortie de Poudlard, les deux jeunes gens s'étaient fait tatoués chacun une aile d'ange sur le poignet droit. C'était leur marque d'appartenance, si on peut appeler ça comme ça. Beaucoup de ceux qui avaient connus Crispin et Cassandra à Poudlard crurent que le jeune sorcier avait réussi à mettre en cage la tigresse qu'elle était. Oh qu'ils se trompaient. Elle était toujours aussi flamboyante, brûlante et c'était comme ça qu'il l'aimait. Ils avaient réussi à s'acheter une petite maison en dehors de Londres où s'installèrent bien vite. Et bientôt, il lui passa la bague au doigt. Elle était des plus ravissantes dans sa robe d'un blanc immaculé. Cette robe correspondait si bien dans sa coupe au tempérament de sa femme. Faite de bandes de tissus entremêlées, avec un dos largement échancré et une traine découpée habilement. Beaucoup s'étaient demandés si elle tenait sur ses épaules seulement par magie. Crispin n'avait pas cherché à savoir. Il se contentait de se noyer dans les yeux de sa femme, de celle avec qui il partagerait sa vie. Car malgré la guerre qui sévissait dehors, Crispin avait de l'espoir pour l'avenir.

Mais c'était avant. Avant la fin. Avant ce jour fatidique. Alors qu'il ferme les yeux, assis à son bureau, Crispin peut encore voir le sang de celle qu'il aimait sur ses mains. Il peut encore voir son regard s'éteindre alors qu'il la serre — trop fort — dans ses bras, qu'il la berce doucement. Il caresse ses cheveux alors qu'une larme s'échoue sur la joue de la sorcière. Elle lui chuchote des mots doux. Ne t'inquiète pas... Tout ira bien... Mais pour une fois, il ne veut pas la croire. Il ne peut pas la croire. Il entend le mensonge dans sa voix, sent ses pensées s'éteindre une à une alors que la vie s'échappe de son corps. Un sanglot entremêlé d'un grognement de désespoir s'éleva d'entre les lèvres du sorcier. La rage étreignait son coeur pour la première fois depuis très longtemps, voire depuis toujours. Ses yeux embués de larmes se posèrent sur le Mangemort qui avait osé lancer un sort destructeur sur la femme qu'il aimait. Un nouveau grognement, hurlement, de rage s'élève dans les airs et Crispin pousse sur sa legilimencie. Il pousse si fort, si loin pour chercher le moindre souvenir dans le crâne de cet être infâme. Il fouille, enfonce des portes, casse des murs dans cet esprit obscur, sans se soucier des effets que ça pourrait avoir, sans se soucier de briser l'esprit du suppôt du Mal en face de lui. Il est toujours à genoux au sol, le corps de sa femme entre les bras et il crie. Il crie à chaque porte qui s'ouvre, à chaque souvenir de cet homme. Heureusement, il ne voit pas de mémoire d'une famille, sinon il aurait été capable de pitié. Capable de tout arrêter. Son cri se mêla à celui de sa victime. La seule et unique qu'il fera. L'homme finit à genoux, comme lui. Il a lâché sa baguette, se tient la tête des deux mains et hurle. Crispin a ravagé son esprit alors qu'il atteignait pour la première fois le niveau ultime de sa legilimencie. Il ne restait plus de l'homme qu'un corps pleurant comme un enfant dans le noir quand les autres Aurors le rejoignirent lui et sa femme. Plus rien qu'une coquille vide et apeurée.

Crispin Alexander Jarvis secoua la tête pour chasser tous ces souvenirs. Il posa les yeux sur les feuilles étalées sur son bureau. Il était Directeur du Ministère de la Justice maintenant. Il avait monté les échelons avec une rage de vaincre peu commune. Mais jamais plus il n'avait utilisé ce pouvoir d'intrusion massive chez quiconque. Il se servait presque quotidiennement de son « détecteur de mensonges » et de la « caresse de l'esprit » mais il avait vu ce que ça faisait à un homme d'enfoncer ses barrières pour fouiller au plus profond de son être. Bien sûr, il avait fait en sorte de s'entraîner avec des volontaires, pour que son don ne soit pas incontrôlable, mais il ne l'avait plus utiliser à dessein, même face au pire des criminels qu'il avait croisé dans le tribunal. Maintenant, Crispin vivait avec le souvenir de sa femme, ses yeux sauvages adoucis par son sourire tendre. Ses mèches brunes ondulant doucement le long de sa joue alors qu'elle s'endormait sur le canapé. Cassandra avait emmené son coeur avec elle, peu importe l'endroit où elle était partie.