Ronald observait la pièce qu'il avait dans le creux de la main. Une simple pièce, comme toutes les autres. Elle luisait doucement à la lueur de la bougie qui menaçait de s'éteindre à tout moment, la cire s'écoulant le long du rebord de la fenêtre. La mèche était aussi sombre que la nuit au dehors. Ron frissonna alors qu'un courant d'air siffla dans le joint mal établi du cadran en bois. Pourtant, la flamme fragile resta vive et persistante. Son coeur manqua un battement. Il était remonté dans sa gorge depuis des jours déjà. Il se demandait pourquoi. Pourquoi ?! Pourquoi n'avait-il pas été là pour ses amis ? Pas là comme il le fallait, où il le fallait. Ron. Le froussard, trouillard. Son regard ne quittait pas la pièce brillante bien qu'il s'embuait de larmes. Il se demandait comment jamais il avait pu appartenir à la maison Gryffondor. Comment avait-il pu être envoyé dans cette noble maison, à la suite de son frère Bill qui domestiquait des dragons, de Fred et de Georges qui avaient tenu tête à Ombrage. La flamme eut un regain d'ardeur, comme pour le réchauffer du froid qui le rongeait. Cela faisait des jours qu'il était enfermé dans sa chambre. Il n'en était descendu que pour aller chercher à manger, longtemps après que le restant de la famille n'eut fini de dîner. Il savait bien qu'aucun d'entre eux ne souhaitait vraiment sa présence. Surtout pas Ginny qui l'avait renié. Rayé de sa vie. Il n'était plus son frère. Juste un fantôme dormant dans la chambre d'à côté. Son estomac gronda à nouveau. Mais il entendait encore les discussions en bas. Comment pouvaient-ils trouver matière à rire alors que Harry et Hermione étaient portés disparus, enlevés par des Mangemorts, Poudlard fermé. Peut-être était-ce parce que Fred et Georges étaient rentrés ce jour-là. Peut-être... Ron referma ses doigts sur la pièce et se laissa tomber en arrière sur son lit qui émis un grincement de protestation.


Fixant le plafond où se mouvait des ombres informes, Ronald ne pouvait s'empêcher de penser à toutes ces années. Tout ce temps qu'il avait vécu. Pourtant, il n'avait vraiment commencé à vivre que lorsqu'il était entré à Poudlard. Juste un peu avant. Quand il avait rencontré Harry Potter, le Survivant, dans le train. Il avait passé plus de la moitié de sa vie à vivre, survivre, dans les ombres de ses frères et soeur. Il se souvenait de cet instant où il était passé devant un compartiment vide à l'exception d'un seul autre enfant. Il avait eu peur de se faire rabrouer, expulsé, comme cela s'était déjà produit de nombreuses fois avant qu'il n'atteigne cette partie du train. Il avait été alors surpris de voir la gentillesse et — presque — l'euphorie dans les yeux du garçon aux cheveux en bataille déjà installé sur une banquette. Comme s'il attendait, lui aussi, que quelqu'un veuille bien de sa compagnie. Ses prunelles d'un bleu-vert s'étaient illuminées du même éclat lorsque le garçon l'avait accueilli à bras ouverts. Puis il avait appris que c'était Harry Potter. En étant né dans une famille de sorciers, Ron avait entendu parler de lui depuis sa naissance, depuis qu'il avait été capable de comprendre ce qui se disait autour de lui. Le Survivant. Celui qui avait terrassé — on ne sait comment — le Seigneur des Ténèbres. Grâce à qui la paix était revenue parmi le monde des sorciers. Il avait en face de lui l'enfant sûrement le plus important de toute la planète... et celui-ci avait décidé de lui accorder son amitié au premier coup d'oeil.

Changement de décor. Ron et Harry étaient debout dans les escaliers, à écouter le discours du Professeur McGonagal avant leur répartition. Le rouquin avait dégluti péniblement. Allait-il aller à Gryffondor comme le reste de sa famille ? Ou allait-il pour une fois se démarquer de ses frères en étant envoyé dans une autre maison ? Il en avait envie et, à la fois, le redoutait. Il ne voulait pas tant que ça sortir des rangs. Il aimait se fondre dans la masse. Devenir intéressant impliquait devoir parler aux autres. Et Ron n'aimait pas les autres. Il n'aimait pas leur jugement écrits le long de leur visage. Pourtant, il rêvait d'une célébrité qui le ferait remonter dans l'estime des gens. Il ne voulait plus de ce dédain et de ce dégoût. Dédain et dégoût qu'il voyait clairement sur le visage de Drago Malefoy à l'instant même. Il avait jeté un coup d'oeil effrayé à Harry. Il avait clairement peur que son nouvel ami ne tombe dans les pattes de cette fourbe fouine blonde. Les Malefoy et les Weasley avaient beau appartenir à la même famille, on ne pouvait trouver plus diamétralement opposés et en conflit. Mais Harry Potter, le grand Harry Potter l'avait soulagé plus qu'il ne l'imaginait lorsqu'il avait refusé la main de la vipère.

Finalement, Ron avait été envoyé à Gryffondor, comme tous les autres Weasley. Mais il n'en était pas déçu, non. Il était après tout dans la même maison que son ami. C'était tout ce qui comptait. Cette Hermione Granger aussi avait été envoyée dans leur maison. Une Miss-je-sais-tout. Elle l'exaspérait au plus haut point. Pourtant, elle intégra vite le groupe de Ron et Harry. Après l'épisode du troll, où elle les avait couverts face à McGonagal et aux autres professeurs, mentant — mentant ! — pour ne pas qu'ils se fassent tous renvoyés ou ne fassent pas perdre tous les points de leur maison. Elle restait cependant exécrable aux yeux de Ron. Elle pensait tout savoir mieux que tout le monde... même si la plupart du temps, c'était vrai. Le restant de l'année s'était passé un peu sur le même modèle. Ron et Hermione n'arrêtait pas de se disputer pour un rien et Harry faisait l'arbitre, spectateur. Pourtant, à la fin de l'année, Ron s'était découvert un courage qu'il n'aurait jamais cru posséder. Pour la première fois, il avait eu l'impression de faire quelque chose d'important. Il ne voulait plus penser à sa panique dans le filet du Diable. Il ne se rappelait plus que de son sacrifice aux échecs grandeur nature. Il avait permis à Harry d'avancer. D'empêcher le Seigneur des Ténèbres de s'emparer de la pierre philosophale. Le trio s'était soudé face à tant d'adversaires et d'obstacles et Ron avait prouvé sa bravoure. Il avait alors été fier d'être un Gryffondor. Fier d'être l'ami de Harry Potter... et à la hauteur surtout, à la hauteur.


Ronald ouvrit les yeux. Il faisait maintenant noir dans sa chambre. Il ne se souvenait même plus du moment où ses paupières s'étaient fermées. Il jura silencieusement. Comment arrivait-il à dormir ? Peut-être justement parce qu'il se refusait au sommeil aussi longtemps qu'il le pouvait. Il devait trouver un moyen de retrouver Harry et Hermione. Ses amis. Le Trio. Cette dernière année à Poudlard avait été la pire, assurément. Bien loin de leurs rigolades et de leurs aventures des années précédentes. Le Trio s'était fissuré avant d'exploser en morceaux. Brisé. Ron posa la pièce qu'il serrait toujours fermement entre ses doigts sur sa table de nuit. Il prit sa masse de cheveux roux entre ses mains, un instant. Il ne savait plus quoi faire. À vrai dire, il le savait. Alors qu'il avait retrouvé cette pièce dans le fond d'une poche, il avait tout de suite su ce qu'il devait faire. Mais une fois encore, il s'interrogeait sur son courage et sur la façon dont les autres le verraient. Répondraient-ils à son appel ? Lui qui avait renié l'Ordre, l'Armée de Dumbledore pour rester auprès de Harry ? Voudraient-ils le suivre pour tenter de sauver Potter et Hermione ? Ou ne serait-ce que venir pour écouter ce qu'il avait à dire ? Il se leva rageusement de son lit et déplia sa haute silhouette dans l'obscurité. Il n'y avait plus un bruit dans le Terrier. Quelle heure pouvait-il bien être ? Il descendit toutefois au rez-de-chaussée. Sa mère lui avait laissé une assiette, comme d'habitude. Il ne parvenait cependant pas à trouver du réconfort dans ce geste précieux. Il prit son repas et le remonta vite fait dans sa chambre. Il ne voulait croiser aucun de ses parents ce soir. Il lui suffirait de réchauffer d'un coup de baguette sa pitance et ce serait bon. Loin d'être parfait, mais acceptable. Alors qu'il glissait la nourriture dans sa bouche, il repensait aux années qui avaient suivies le troll et la pierre philosophale. Elles avaient toutes été aussi mouvementées. Et si Ron savait qu'il avait gagné en courage et en maturité, tout ce qu'il voyait à l'instant, en mâchouillant machinalement la nourriture qui ne parvenait à avoir un goût, c'était l'évolution de sa relation avec Hermione.

Il se souvenait de ses bras autour de son cou alors qu'ils pensaient tous que Buck avait été mis à mort par le Ministère de la Magie. Il se souvenait d'Hermione qui en avait assez de jouer les hiboux messagers entre Harry et lui lors de leur quatrième année. Il se souvenait de leur idée de fonder l'Armée de Dumbledore pour contrer Ombrage et ses cours inutiles. Il se souvenait des heures qu'ils avaient passé à mettre au plan quelque chose d'assez bien pour que Harry accepte, pour que les autres le suivent. Il avait pensé à Harry, à Cho, leur baiser. Il se souvenait encore de l'impact du livre d'Hermione sur son épaule alors qu'elle l'accusait d'avoir le quotient émotionnel d'une petite cuillère. Il se souvenait de son attitude étrange l'année précédente. Avant que Poudlard ne reprenne. Lors du cours de potion avec Slugorhn. Un autre coup de livre alors qu'elle s'inquiétait pour Harry qui avait pris la chance liquide. Même son exploit au Quidditch ne laissait qu'une vague trace dans son esprit. Il se souvenait de la tristesse, de la rage de son amie alors qu'il se retrouvait avec Lavande accrochée à ses basques. Il se souvenait de son sourire étrange alors qu'il était sorti de l'infirmerie après avoir été empoisonné. Il se souvenait de tout cela, de tout ce qu'il avait bien pu ressentir pour Hermione Granger, de l'agacement à la fascination — à l'amour ? —, jusqu'à ce que leur septième année ne débute. Alors, tout s'était effondré. Harry, qui avait toujours été plus ou moins spectateur dans les relations du Trio tout en étant un pilier qui les maintenait ensemble, en était devenu l'acteur principal. Mais plutôt que de les souder encore plus, il avait été l'explosion qui avait tout fait tomber.

Ron posa son assiette sur son bureau et son regard fut de nouveau attiré par la pièce qui reflétait maintenant la lumière de la lune. Il avait voulu soutenir son ami de toujours, son premier ami, celui qui l'avait toujours poussé à se surpasser. Il avait voulu être fidèle à celui qui ne le voyait pas comme un éternel Weasley bon à rien. Pas comme juste un de plus sur la liste. Ça lui avait coûté Hermione, Ginny et le reste de ses amis. Et maintenant que Harry était parti, disparu, il ne lui restait strictement plus rien. Même son instinct, cette étrange confiance en soi, en ses choix, qu'il avait pu acquérir semblaient s'être envolés. Il se sentait monstrueusement trahi. Lorsqu'il avait découvert que Harry avait cette obscurité en lui, ce mal à l'état pur. C'était comme si Ron s'était aveuglé depuis tout ce temps. Le jeune homme secoua la tête et donna un coup de pied dans sa chaise. Il empoigna ses cheveux par touffe et commença à tourner en rond dans sa chambre, son regard azuré tombant toujours sur la pièce brillante. Il devait le faire. Il devait récupérer Harry. Et Hermione. Il devait au moins s'assurer qu'ils étaient toujours vivants. Il devait les enlever des griffes des Mangemorts. Les sauver. Peu importe qu'ils ne veuillent plus de lui. Peu importe que chacun parte de son côté ensuite. Il ne pouvait pas vivre sans savoir. À peine survivre. Et il ne voulait plus survivre. Il se l'était interdit depuis cet instant où Harry Potter lui avait montré comment briller, comment se faire une place dans le monde. Un pas, puis deux. Furieux. Il s'empara de sa baguette, ses jointures blanchissant autour du bois qui tenait bon. Il s'avança à nouveau, furieusement, comme s'il voulait exploser la pièce à travers la fenêtre de sa chambre et se jeter au travers à sa suite. Il s'empara pourtant de la rondelle de métal et brandit sa baguette. Un sort. Pas bien compliqué. Hermione le lui avait appris. Hermione... Un éclair doré s'échappe de l'extrémité de l'outil indispensable. La pièce chauffe, siffle, comme une démente. Ron manque de la jeter au sol mais il tient bon. Il observe les lettres, les chiffres qui bougent, changent, à sa surface. Le message est envoyé. Reste à savoir qui daignera y répondre. Ron referme ses doigts sur la pièce chaude et laisse retomber son bras le long de son corps. Son regard se porte sur le paysage, au-delà de sa fenêtre. Sur la lune. Aussi ronde et brillante que le message qu'il tient dans le creux de sa main. Il espère. Il ne peut faire que ça. Sans espoir, il n'est plus rien. Le monde n'est plus rien.